Le droit à l'IVG dans la Constitution

1. Que dit la loi actuelle ?

Le 24 juin dernier, dans une volte-face historique, la Cour Suprême des Etats-Unis a annulé l’arrêt Roe vs Wade du 24 janvier 1973 qui reconnaissait le droit à l’avortement dans l’ensemble des Etats. Ce sévère retour de l’histoire, conduit à ce que la population américaine se voit aujourd’hui privée petit à petit de l’un de leurs droits fondamentaux : celui de disposer en conscience et librement de leur corps.

Cette décision a créé une onde de choc en France et dans le monde et nous rappelle qu'en Europe, déjà, certains pays comme la Pologne, la Hongrie ou l'Italie ont réduit le droit à l'avortement. 

Aujourd'hui, l'IVG figure à l'article L2212-1 du Code de la santé publique. Depuis la promulgation de la loi Veil, le 17 janvier 1975, encadrant la dépénalisation du recours à l'avortement en France, le droit à l'IVG a été complété et renforcé : 

  • Loi du 4 juillet 2001 relative à l’IVG et la contraception porte à 12 semaines le délai légal de l’IVG (10 semaines sous la loi Veil) ;
  • Loi du 4 aout 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes supprime la mention de « situation de détresse » pour pouvoir recourir à l’IVG. Depuis « une femme qui ne veut pas suivre une grossesse » peut demander une IVG ;
  •  La loi du 20 mars 2017 relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG étend le délit d’entrave à l’IVG à de nouvelles pratiques qui apparaissent sur internet ; 
  • Loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement porte à 14 semaines le délai légal. 
En parallèle de ces évolutions, la Conseil Constitutionnel a renforcé la protection de ce droit en jugeant la loi Veil conforme à la Constitution et en assurant une protection prétorienne au titre de l’équilibre entre la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et la liberté de la femme. Cela signifie que le droit à l'IVG bénéficie d'une valeur supérieure dégagée par une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel. 

Pour autant, aujourd'hui, le droit à l'IVG ne dispose pas de la protection ultime à savoir son inscription dans la Constitution française. 

2. L'inscription de l'IVG dans la Constitution

La protection ultime qu'imposerait l'inscription du droit à l'IVG permettrait à chaque Française de ne pas vivre dans le risque de voir, un jour, ce droit être supprimé ou mis en danger comme c'est le cas aux États-Unis, en Pologne, en Hongrie et en Italie. 

Le constat est regrettable : le droit d’avorter est aujourd’hui fragilisé sur notre continent et ces situations nous obligent à repenser les garanties offertes par notre droit.

Heureusement, aucun parti politique français n’a verbalisé à ce jour son souhait de revenir sur la loi Veil. Mais devons-nous nous accommoder de cet état de fait au motif que notre Constitution n'aurait pas vocation à cataloguer des droits individuels ? Et quelle difficulté y aurait-il à renforcer, en ces temps troubles, les gages donnés à la préservation des droits reproductifs et sexuels des femmes ? 

Aujourd'hui, 8 Français sur 10 se disent pour l'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution. En ces temps de la nécessaire protection des droits des femmes et du renforcement de l’égalité femme-homme, la constitutionnalisation de l’IVG serait un signal fort, un message fort et utile au reste du monde car à ce jour aucune Constitution ne reconnait ce droit de façon positive. Alors si nous actons que nous avons un consensus pour réviser la Constitution, cela ne doit pas se faire à la légère. C'est pourquoi, j'ai souhaité proposer un amendement pour modifier la rédaction initialement proposée par madame Mathilde Panot, rapporteur de la proposition de loi.

3. Focus sur mon amendement

En commission des lois le 16 novembre 2022, j'ai souhaité proposé un amendement pour modifier la rédaction initiale proposée par madame Mathilde Panot qui est la suivante : " Nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits."

J'ai souhaité modifier cette rédaction pour une version positive qui renvoie à la loi, garantissant ainsi un verrou législatif. J'ai ainsi proposé :" la loi garantit l'effectivité, l'égal accès à l'interruption volontaire de grossesse et son recours est libre, autonome et consentie."

En commission, cette première version n'a pas été retenue. Pour autant, certains groupes d'opposition ont manifesté la volonté de réaliser un travail transpartisan pour trouver la meilleure écriture et la plus consensuelle. Ainsi, après ce travail, nous nous sommes mis d'accord sur l'écriture suivante :

" La loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse."

Cette nouvelle écriture est plus protectrice des droits que nous cherchons à protéger. Par cette formulation positive, nous reconnaissons un « droit à l’interruption volontaire de grossesse » et nous posons un principe intangible dans la Constitution, en renvoyant à la loi le soin d’en garantir l’effectivité et l’égal accès. 
En d’autres termes, cette rédaction consacre à la fois le caractère fondamental de ce droit et la nécessité de son encadrement par la loi, mais aussi un principe de non-régression en la matière, qui emporterait l’inconstitutionnalité de tout dispositif législatif qui viendrait porter atteinte à l’exercice de ce droit.

Plus précisément, la seule reconnaissance du droit à l’IVG ne suffit pas si les conditions de son exercice sont trop limitatives, c’est pourquoi il est fait référence à « l’effectivité et l’égal accès » à ce droit. 

La notion d’effectivité exige qu’il s’agisse d’un droit réel (délai d’au moins quatorze semaines, absence d’obligation en matière de délai de réflexion ou de consentement des représentants légaux, existence de professionnels disponibles et formés). 

L’égal accès renvoie à la possibilité pour toute personne qui en fait la demande de réaliser une IVG, quelle que soit sa situation géographique, familiale ou financière, ce qui suppose notamment la gratuité de cet acte et l’existence d’un maillage territorial suffisant avec des professionnels acceptant de réaliser les IVG. Enfin, le caractère « volontaire » de l’interruption volontaire de grossesse renvoie à la liberté de choix des personnes qui décident d’y recourir. L’interruption ne peut leur être imposée et est nécessairement consentie dès lors que la personne en fait la demande, sans que ce consentement ne doive faire l’objet d’une vérification particulière. Cette rédaction permet de reconnaître le droit à l’IVG comme un principe fondamental de nature constitutionnelle et d’y apporter une protection élevée contre de futures atteintes. Elle laisse également la voie ouverte à une amélioration de son effectivité par le législateur. Elle envoie enfin un signal au reste du monde en faisant de la France le premier pays à inscrire l’IVG dans son texte fondamental. 

La contraception, bien qu’étant un droit majeur, parfois menacé et encore trop souvent ineffectif, ne pose pas, en matière de constitutionnalité, de difficultés du même ordre que l’interruption volontaire de grossesse dont la conformité à la Constitution repose aujourd’hui sur le respect de l’équilibre entre les libertés de la femme et le principe de dignité humaine.

4. Où en est-on ?

Lors de la niche parlementaire de la France Insoumise le 24 novembre 2022, mon amendement a été adopté par un large majorité :  226 pour et 12 contre. 253 députés étaient présents au moment du vote.

Grâce à cet amendement, un consensus a pu avoir lieu sur cette proposition de loi et donc elle a été adoptée par l'Assemblée nationale par 337 voix pour et 32 contre. 

La prochaine étape est l'examen de la proposition de loi par les sénateurs. 

Pour aboutir, elle devra être votée dans les mêmes termes par les deux Assemblées, avant d'être soumise à référendum par le président de la République puis approuvée par les Français, conformément à la procédure de révision définie à l'article 89 de la Constitution. 

Depuis 1958, aucune révision constitutionnelle proposée par un parlementaire n'a abouti, le plus souvent faute d'accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat (ie. responsabilité pénale du président de la République en 2001, droit de vote des étrangers aux élections municipales en 2000 et 2011, ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en 2014). 

Les 22 révisions de la Constitution de la Ve République, opérées en application de l'article 89 de la Constitution, sont toutes issues de projets de loi déposés par l'exécutif. Elles ont toutes été approuvées par le Parlement réuni en Congrès à Versailles, sauf la réforme de 2000 sur le quinquennat présidentiel approuvée par référendum. 
La dernière réforme constitutionnelle (sur la modernisation des institutions) date de 2008, il y a plus de 14 ans.