Carnet de Bord

Colloque sur le harcèlement scolaire à l'Assemblée nationale : poursuivons notre combat !

Le mercredi 5 avril, j'ai organisé un colloque sur le harcèlement scolaire aux côtés de trois intervenants spécialistes du sujet : 

  • Nicole CATHELINE, pédopsychiatre et praticienne hospitalière - spécialiste du harcèlement scolaire ;
  • Samuel COMBLEZ, directeur des opérations de l’association e-Enfance, psychologue de l’enfance et de l’adolescence ;
  • Maître Valérie PIAU, avocate experte en droit de l’éducation et dans la défense des enfants 

Ensemble, avec de nombreuses associations, professionnels du secteur de l'enfance et acteurs du monde de l'éducation, nous avons réfléchi pour répondre à la thématique suivante : 

Auteurs et victimes de harcèlement scolaire : quelles mesures d’accompagnement et de prévention pour les jeunes et leurs parents ? 

Le 22 mars 2023, la loi visant à combattre le harcèlement scolaire a eu un an. Elle a permis de poser le principe du droit à une scolarité sans harcèlement, dorénavant inscrit dans le code de l’éducation.La genèse de cette inscription remonte à la loi du 29 juillet 2019 pour une école de la confiance dans laquelle l’amendement que j’ai déposé et qui a été adopté en séance à l’Assemblée nationale avait permis de poser les premières pierres de cette reconnaissance . Repris au Sénat par le Gouvernement, mon amendement a finalement permis d’introduire l’article L511-3-1 dans le code de l’éducation et ainsi de consacrer le non-harcèlement comme un droit de suivre une scolarité sans harcèlement . Dans la continuité de ce texte, le juge administratif avait reconnu qu’aller à l’école sans être harcelé moralement était une liberté fondamentale .

Ce droit conforté et amélioré par la loi du 2 mars 2022 est maintenant valable pour toute la durée de l’enseignement (primaire, secondaire et supérieur), dans les écoles publiques aussi bien que privées. Nul ne peut désormais ignorer les cas de harcèlement et tous sont obligés de gérer la situation sans déplacer le problème ailleurs.
Cela pose un principe fondamental dans la lutte contre le harcèlement scolaire : en cas de faits de harcèlement, la première réponse doit être celle de l’établissement scolaire. C’est un pas de plus essentiel pour permettre aux enfants de vivre une scolarité sereine et épanouissante. Le cadre permis par la loi est précieux car il impose désormais à l’Etat une obligation de moyens qui engage sa responsabilité s’il n’agit pas pour faire cesser le harcèlement scolaire.

La loi du 2 mars 2022 est articulée autour de trois piliers fondamentaux : la prévention, l’accompagnement et la protection. Ces trois piliers nous permettent aujourd’hui de bénéficier des outils législatifs et réglementaires nécessaires pour lutter contre le harcèlement scolaire. Nous devons veiller à ce qu’ils soient tous déclinés sur le terrain. L’enjeu principal désormais est donc de développer les moyens et la culture de la lutte contre le harcèlement scolaire.


1. La prévention : assurer une scolarité sans harcèlement

La loi pose désormais le principe d’un droit à la scolarité sans harcèlement. C’est un pas de plus pour permettre à nos enfants de vivre une scolarité sereine et épanouissante. Si nous voulons apaiser notre société, c’est dès le plus jeune âge qu’il faut intervenir. Tolérer la violence à l’école, c’est l’ancrer dans le développement des enfants et de fait, la cautionner dans la société. A l’inverse, prôner dès le plus jeune âge l’empathie et les principes du vivre-ensemble permettra aux adultes de demain d’adopter des comportements plus respectueux de leurs pairs et développer les leviers de communication non violente.
Le partage d'émotions est une des clés de la prévention, tant pour les enfants que pour leurs parents et pour les enseignants.
  • Émotions des enfants : Il faut permettre aux enfants d’apprendre à reconnaître leurs émotions et à les gérer de manière à ce que cela ne devienne pas quelque chose qui gêne la sociabilisation. Les émotions sont des compagnons de vie. Il en va de même dans l’espace numérique. Il est indispensable de faire comprendre aux enfants que le message envoyé sera reçu par une personne qui a des émotions.
  • Émotions des parents : les parents d’enfants victimes peuvent être pris par la culpabilité de ne pas avoir vu, de ne pas avoir su et pu protéger leur enfant. Les parents auteurs sont quant à eux pris par l’émotion de ne pas avoir su élever leur enfant ou d’avoir “élevé un monstre”.
  • Émotions des professeurs : il leur faut des lieux pour pouvoir s’exprimer, en dehors de la salle des profs, pour dire ce qui ne va pas avec un enfant ou avec un autre membre de l’équipe éducative avant que ne naisse une quelconque forme de harcèlement scolaire.
Nous devons sans cesse améliorer les outils de prévention. Il y a notamment un vrai manque de connaissance des structures et des relais qui peuvent faire l’intermédiaire et aider à régler la situation avant la judiciarisation, laquelle sera toujours le constat d’échec de l’ensemble de la société. Les associations de parents et les parents eux-mêmes ne connaissent pas les référents académiques, qui sont par ailleurs difficilement trouvables sur les sites internet des rectorats, même par les professionnels.
Nous ne pouvons en effet faire de la prévention que si tout le monde connaît les lieux d’écoute et les bons interlocuteurs. L’article 1er de la loi pose cette obligation de prévention et de mise en place des outils pédagogiques et éducatifs autour du harcèlement scolaire.


2. L’accompagnement : améliorer la formation et le suivi


Le harcèlement scolaire est très présent au collège qui est la période la plus à risque. Toutefois, de plus en plus de situations de harcèlement scolaire sont identifiées en primaire et parfois même en maternelle.

L’écoute et le suivi psychologique des victimes et des auteurs est donc essentiel dans la lutte contre le harcèlement scolaire. Ils sont améliorés notamment grâce aux associations qui aident et accompagnent les établissements dans leur travail contre le harcèlement. C’est le cas de l’association e-enfance, engagée depuis sa création dans la lutte contre le harcèlement scolaire et encore plus depuis la signature en 2011 de la convention avec le Ministère de l’éducation nationale pour la prise en charge de la lutte contre le cyberharcèlement entre élèves.

Composée de professionnels formés (juristes, de psychologues et de spécialistes des réseaux sociaux), tous eux-mêmes jeunes utilisateurs et résidants sur le territoire métropolitain, l’association est le point d’entrée pour tous les parents, enfants et professionnels de l’éducation nationale de toutes les problématiques liées à l’univers numérique, ses usages et ses dangers.

Depuis un an, le 3018 peut traiter le harcèlement hors ligne et a la possibilité de faire remonter ces situations auprès du Ministère de l’éducation nationale. Cela permet une continuité de la prise en charge des victimes en leur faisant gagner du temps et en leur évitant d’avoir à répéter à de multiples interlocuteurs les violences subies. C’est ainsi que plus d’une centaine de signalements ont été traités en un an.

Enfin, le lancement récent de l’application a permis de renforcer cette prise en charge globale et rapide de la victime. Elle permet d’une part aux enfants d’auto-évaluer leur situation afin de déterminer s’ils sont victimes ou non de harcèlement scolaire. Ce quizz est indispensable aujourd’hui car il existe une forme de banalisation inquiétante des situations de harcèlement scolaire. Trop d’élèves pensent que ce qu’ils vivent est normal alors même que de nombreuses situations relèvent de cas de harcèlement scolaire. Cette application permet d’autre part de stocker les preuves du harcèlement dans un coffre-fort numérique et sécurisé (capture d’écran, photos…), qui peuvent être ensuite transmises aux équipes du 3018.

Ce développement depuis plus de 10 ans de l’association et du 3018 ont permis à e-enfance de devenir un véritable signaleur de confiance auprès de tous les réseaux sociaux, de l’éducation nationale et de Pharos. Cette capacité d’action leur permet de faire retirer des contenus préjudiciables ou manifestement illicites très rapidement. En pratique, 95% des recommandations faites par l’association sont suivies d’effets par les réseaux sociaux.

Cependant, l’association déplore aujourd’hui un déficit de notoriété : 12 millions d’enfants sont scolarisés en France et 10% d’entre eux sont harcelés, or l’association ne recense que 30 000 appels pour l’année 2022.


3. La protection : faire du harcèlement scolaire un délit.

Le harcèlement scolaire est dorénavant reconnu comme un délit pénal pouvant être puni d’une peine allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime harcelée. La judiciarisation est un constat d’échec de ne pas avoir réussi à résoudre les conflits. Cependant, l’objectif du volet pénal n’est pas de faire arrêter les faits. C’est une charge qui incombe à l’établissement. Le temps du pénal n’est pas le temps de la victime du harcèlement qui doit avoir une réponse de l’institution scolaire d’un point de vue disciplinaire. Ce volet pénal permet à la société de définir et réprimer un comportement antisocial.

Pistes pour améliorer la lutte contre le harcèlement scolaire :


  • Lutter contre le déficit d’informations en permettant une meilleure connaissance de la loi et des relais, notamment les lieux d’écoutes et les interlocuteurs compétents, auxquels chacun peut avoir accès de manière à éviter de se précipiter sur une judiciarisation qui pourrait être évitée ;
  • Former les professionnels de santé en contact avec les enfants aux problématiques liées au cyberharcèlement. - Mieux former tous les éducateurs, notamment ceux des espaces de loisirs, des colonies de vacances. Le harcèlement est partout et ne s’arrête pas aux portes de l’établissement scolaire ;
  • S’inspirer de la justice restaurative et de la méthode suédoise de la préoccupation partagée. Cette méthode permet de placer l’harceleur dans une situation de réparation d’emblée et d’éviter la punition automatique qui n’est pas toujours la solution pour des enfants en construction, ce d’autant plus qu’elle peut avoir pour effet de ressouder le groupe des intimidateurs. Toutefois, seuls 30 000 à 40 000 enseignants sur les 800 000 que comptent l’éducation nationale ont été formés à cette méthode. C’est parfois contre-intuitif pour le corps enseignant qui veut pouvoir sanctionner l’élève harceleur. Ce ne peut pas être le seul outil de lutte mais cela participerait de la prévention ;
  • Créer une inspection à l’image de celles qui peuvent exister pour d’autres services et administrations et qui permet à toute personne, indépendamment de toute plainte, de faire un signalement qui déclenchera une enquête interne. Cela permettra de mettre fin à la négation de la parole et des droits des enfants, dénoncés par le Défenseur des droits à plusieurs reprises ;
  • Mettre en place des conventions entre l’éducation nationale et les services de psychologie afin d’avoir des relais. Cela permettrait de pallier aux difficultés de moyens et de recrutement des médecins et infirmiers scolaires. - Publier tous les ans un indicateur / baromètre du climat scolaire couplé à une étude scientifique et chiffrée sur la réalité du harcèlement scolaire en France.


En tout état de cause, il faut rester optimiste car nous allons dans le bon sens.