Carnet de Bord
Adoption par les députés du texte visant à réguler et sécuriser l'espace numérique
Durant les travaux préparatoires, en audition et en commission, j’avais manifesté mon étonnement face au sentiment de satisfaction exprimé par certains acteurs du numérique. En les écoutant, nous pouvions croire que l’espace numérique actuel, celui que nous et nos enfants consultent chaque jour, serait sain et sécurisé.
Certains considèrent avoir déjà mis en œuvre des outils de régulation et de contrôle suffisants pour protéger les utilisateurs. Alors, s’il ne faut pas nier les efforts qui ont été faits par la majorité de ces acteurs, ils ne peuvent se contenter, de ces très petites avancées.
Il fallait donc que la puissance publique intervienne. C’est ce que nous avons fait en adoptant ce texte dans sa version issue de la commission mixte paritaire.
Il s’agit d’un texte essentiel face aux dérives rencontrées en ligne et aux monopoles exercés par certaines entreprises. Grâce à ce texte, nous allons doter l’État d’outils pertinents et efficaces, non seulement pour punir mais aussi pour que chacun, en bonne intelligence, puisse utiliser ce formidable outil d’émancipation, d’information et d’innovation qu’est le numérique. Ce texte est ainsi orienté autour de trois axes principaux :
Protéger et équiper les Français en créant un filtre anti-arnaque contre les mails ou les sms frauduleux et en bannissant les cyberharceleurs des réseaux sociaux ;
Protéger nos enfants des dangers d’internet en mettant un terme à leur exposition aux contenus pornographiques et en sanctionnant les hébergeurs qui ne retirent pas les contenus pédopornographiques pourtant signalés ;
Protéger les entreprises et soutenir les collectivités en renforçant l’équité commerciale et en interdisant aux multinationales du numérique de privilégier leurs services sur leurs plateformes, en encadrant les jeux en ligne, en soutenant les collectivités dans la régulation des meublés de tourisme notamment.
C'est pourquoi j'ai voté en faveur de ce texte. Néanmoins, je regrette que la volonté d’aboutir à une commission mixte paritaire conclusive nous fasse une nouvelle fois prendre le risque de retrouver dans le texte des dispositions inconstitutionnelles. À titre personnel je considère que cela ne grandit pas notre institution.
À trop vouloir bien faire, nous avons créé un dispositif qui ne pourra pas être appliqué et que le Conseil constitutionnel risque de censurer. Je veux parler ici de l’article 5 bis qui crée un délit général d’outrage en ligne pouvant faire l’objet d’une amende forfaitaire délictuelle. Si l’objectif pourrait sembler louable, nous ne pouvons nous satisfaire de l’écriture retenue.
Elle laisse à penser qu’une injure publique qui pourrait être sanctionnée par l’outrage en ligne serait moins grave qu’une injure publique dans l’espace public. Par ailleurs, la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 2023 sur la loi de programmation du ministère de l'Intérieur : Les Sages de la rue Montpensier y ont donné les conditions de recours à l’amende forfaitaire délictuelle (AFD). Ils ont ainsi estimé que cette procédure n’était possible qu’à la condition que les éléments constitutifs puissent être aisément constatés. Or, les infractions auxquelles cet article fait référence, nécessitent des enquêtes parfois détaillées et minutieuses, notamment pour identifier les auteurs. C’est assez peu compatible avec le dispositif retenu.
De plus, la définition même de l’infraction et notamment de la circonstance aggravante tenant à la « personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur » rend sa sanction compliquée à automatiser par le biais d’une AFD.
Enfin, le propre même de l’AFD est d’éteindre l’action publique. Or le caractère de ces infractions impose que l’auteur passe devant un juge et que la victime puisse être elle aussi entendue. Nous risquons par là même de déqualifier certaines infractions. En tout état de cause, nous devons avancer sur le sujet et cette rédaction peut nous servir de point de départ. Nous attentons maintenant la décision du Conseil Constitutionnel.