Carnet de Bord

Une machine à broyer les talents : publication de mon rapport sur les violences dans la culture

Une machine à broyer les talents : publication de mon rapport sur les violences dans la culture

Maria Schneider, Noémie Kocher, Adèle Haenel, Judith Godrèche et tant d’autres … Elles ont été nombreuses à dénoncer les violences dans la culture. Depuis des années, elles ont parlé, sans être écoutées, sans être entendues, et pour certaines, ont été mises de côté. Aujourd’hui, ce rapport se veut être un tournant.

Pour ouvrir les rideaux vers l’après MeToo.

Pour promouvoir une nouvelle forme de création inclusive, bienveillante et consentie.

Pour promouvoir une nouvelle société.


Après six mois d’auditions, quels constats le rapport établie-t-il ?

Publié le 9 avril, ce rapport est le résultat de plus de 6 mois de travaux, 108 auditions et plus de 400 personnes auditionnées. C’est un rapport conséquent et dense qui entend mettre en lumière différentes formes de violences et les mécanismes d’omerta qui s’entretiennent dans ces secteurs.

Dans ce rapport, j’établis plusieurs constats, le premier étant le caractère sexiste et patriarcal du monde de la culture, à l’image de notre société. En effet, les femmes sont statistiquement bien plus exposées à la précarité et sont victimes de sexisme, quotidien, généralisé et banalisé. Ces violences sont d’autant plus répandues que notre société entretient une culture de la minimisation qui entrave la libération de la parole. Au sein du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité, secteurs entrant dans le champ de la commission d’enquête, ce phénomène est particulièrement accentué pour plusieurs raisons :

           - Les statistiques fiables sur les violences et harcèlements moraux, sexistes et sexuels (VHMSS) sont très peu nombreuses. Le manque de données collectées ne permet d’avoir ni une vue d’ensemble du phénomène, ni des moyens ciblés pour lutter contre ce fléau. Si les nombreux témoignages nous ont permis de rendre compte de l’ampleur et de la gravité de ces violences, ce sont avant tout des dysfonctionnements généralisés et répétés que je souligne à travers le rapport.

         - Les artistes et acteurs des secteurs qui entrent dans le champ du rapport sont significativement exposés, et plus particulièrement les femmes, à une précarité systémique. En effet, la hiérarchisation marquée et la singularité des contrats d’intermittence y contribuent. Le pouvoir exercé sur une personne et l’omerta sont d’autant plus forts que l’emploi de celle-ci est précaire ; « la précarité est un accélérateur d’agression car elle empêche les plaintes »[1].

           - Ces secteurs sont marqués par l’entre-soi et les relations de pouvoir. La hiérarchie cloisonnée va de pair avec la survalorisation de certains, pourtant minoritaires, et la dévalorisation d’autres, alors majoritaires. A travers les auditions, nous avons constaté la prégnance d’un culte du créateur tout-puissant, qui sous couvert du talent, entretient les abus, l’impunité et l’omerta.

           - Enfin, le cadre juridique et le code du travail sont trop souvent méconnus. Ne pas connaître ses droits et ses devoirs favorise les abus et limite la libération de la parole.


En réponse à ces constats, quelles sont mes recommandations ?

Le rapport contient 86 recommandations qui viennent répondre aux problématiques soulevées par les différents constats précisés ci-dessus.

A travers les témoignages, il est ressorti que les castings sont souvent des terreaux d’abus. C’est pourquoi je rappelle l’urgence de mieux encadrer les castings, notamment pour les mineurs, avec l’interdiction de demander aux comédiens de se dénuder et de leur faire réaliser des essais sur la base de scènes d’intimité ou à caractère sexuel.

Les violences et abus commencent dès le plus jeune âge. Pour mieux protéger les artistes mineurs, je propose l’interdiction de la sexualisation des mineurs à l’écran et dans les photos de mode ainsi que l’obligation de la présence du représentant légal d’un enfant de moins de 7 ans lors d’un casting, d’un tournage ou d’une représentation.

En ce qui concerne la formation et la nécessité de former le plus grand nombre, je propose d’inclure un module de formation obligatoire, sanctionné par un examen, dédié au droit du travail et à la prévention des violences morales sexistes et sexuelles dans le tronc commun de toutes les écoles, privées et publiques, du secteur culturel. Je recommande également d’étendre la conditionnalité des aides publiques à l’ensemble du secteur culturel, en exigeant la formation des équipes, la mise en place d’un protocole de signalement et de traitement des signalements ainsi qu’un bilan annuel par la structure des actions engagées.

Enfin, pour mieux protéger les artistes face à la précarité et aux relations de pouvoir, l’inscription dans tous les contrats de travail d’une clause interdisant toute sanction financière en cas de signalement de faits de VHSS me paraît nécessaire. De la même manière, nous devons donner obligatoirement aux talents un droit de regard sur le montage des scènes faisant apparaitre leurs parties intimes et prévoir une médiation du CNC en cas de désaccord.


Quelle sera la suite ?

Le combat pour lutter contre les VHSS et pour prôner une culture bienveillante et inclusive continue. Si le rapport constituait l’acte 1, nous nous attelons désormais à l’acte 2, voire à un acte 3. En partant des 86 recommandations que j’ai posées dans le rapport, nous continuons de consulter les différentes parties prenantes que sont les institutionnels, les ministères concernés, les professionnels, les syndicats ainsi que mes collègues députés.

Ces échanges permettront de définir ensemble un nouveau cadre législatif et règlementaire et assurer à toutes et à tous, un environnement de travail sain et bienveillant où chaque personne pourra vivre sereinement de sa passion. Notre art n’en sera que plus beau.


[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu