Carnet de Bord

L'évaluation climatique des Lois : un sujet fondamental face à l'urgence climatique

Mardi 21 mars, j'organisais un petit-déjeuner à l'Assemblée nationale sur l'évaluation climatique des Lois autour de 3 intervenants spécialisés dans le domaine : 

  • Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement 
  • Julien Bétaille, maître de conférence à l'Université Toulouse Capitole
  • Andreas Rüdinger, coordinateur transition énergétique France de l'IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales) 
Lors de la précédente législature, un travail avait déjà été amorcé avec le dépôt d'une proposition de loi visant à évaluer l'impact climatique des Lois. La loi Climat et Résilience avait d'ailleurs repris en partie le contenu de cette PPL que j'ai déposé avec plusieurs de mes collègues. 

Pourquoi évaluer les lois au regard de leur impact climatique ? 

La loi « énergie et climat » du 8 novembre 2019 assigne l’objectif d’une neutralité carbone pour 2050. Dès lors, toutes lois susceptibles d’impacter notre environnement seront évaluées. Une volonté qui s’inscrit pleinement dans le souhait déjà formulé en 2015 lors de la mise en place de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), qui dresse une feuille de route proposant des indicateurs pour évaluer les lois au regard de leur impact climatique.

L’année 2023 est marquée par un enjeu climatique fort : la mise à jour de nos objectifs climats :
  • Révision SNBC et PPE, qui devrait en principe partir d’une analyse exhaustive de la mise en œuvre des versions précédentes ;
  • Elaboration de la toute première loi de programmation énergie-climat.
Dans son rapport publié en décembre 2019, le Haut Conseil pour le Climat (HCC) propose une méthodologie pour évaluer chaque loi au regard de la situation climatique. En amont :

1. Une consultation publique des parties prenantes, pour déterminer des conséquences climatiques potentielles ; 2. Une étude d’impact relative aux indicateurs de la SNBC ; 
3. Un avis sur la qualité de cette étude, émis par une autorité indépendante.

Puis, en aval :
1. Mise à jour de l’étude d’impact après promulgation de la loi ; 
2. Mention du dispositif d’évaluation climatique de la loi dans le texte de loi ; 
3. Élaboration d’un rapport annuel dressant un bilan des lois évaluées au regard de la SNBC par le Conseil de défense écologique.

L’évaluation climatique des lois prend en compte deux enjeux : 
  • L’évaluation ex ante : Evaluation amont de l’impact de nouveaux textes réglementaires en amont 
  • L’évaluation ex post : Evaluation et suivi des stratégies et dispositifs politiques 
 Or, aujourd’hui, selon le HCC, seuls 3% des articles de loi sont évalués sous l’angle environnemental.

Dans la proposition de loi organique visant à l’évaluation climatique des lois, que j’ai portée et déposée en juin 2021, il est rappelé que le cadre d’action pour évaluer les lois au regard des effets climatiques existe déjà, avec un objectif de neutralité carbone d’ici à 2050, une SNBC et des indicateurs élaborés dans la PPE ainsi qu’un budget vert. Cette PPL organique visait à systématiser l’évaluation climatique des lois en prévoyant cette compétence dans la fonction d’évaluation du Parlement, en lien avec la Cour des Comptes, et pour avis le HCC afin de garantir la qualité des études d’impact ex ante des PJL et PPL. La PPL prévoyait aussi la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur l’opportunité de la création d’un principe d’irrecevabilité climatique appliqué aux textes de lois.

Ces mesures pouvaient être dans le Loi Climat & Résilience dans le titre 7, mais seul le principe de l’évaluation ex post des lois par le HCC a été retenu.

Au-delà de mesurer l’impact d’une loi, il faut pouvoir l’évaluer et créer une irrecevabilité si nous souhaitons que l’impact soit pris en compte. Cette évaluation doit avoir lieu à chaque étape du processus législatif.

Il est nécessaire de mettre davantage de cohérence dans la philosophie et les dispositifs mis en place depuis 2017. Si un délit d’écocide a été créé notamment pour prévenir les désastres écologiques d’origine industrielle, et que la Cour des comptes a été désignée pour définir et évaluer les modalités et les impacts climatiques des textes de loi, avec le soutien du HCC, il convient de doter le Parlement d’outils législatifs pertinents pour œuver en amont du vote de la loi afin de se prémunir face à toute action qui irait à l’encontre de la préservation de notre écosystème.

À défaut d’action en ce sens, la société civile s’est emparée du sujet en intentant des procès à l’encontre d’États. En France, c’est l’Affaire du Siècle : 4 ONGs ont attaqué l’État pour inaction climatique face au dérèglement climatique. Ce recours en justice fait partie des 1 300 actions en justice recensées entre 1990 et 2019. Certains de ces procès sont gagnés, à l’image d’un groupe de 25 jeunes, en Colombie, accompagné de l’ONG DeJusticia, qui ont obtenu gain de cause après avoir engagé des poursuites contre le Gouvernement pour inaction contre la déforestation amazonienne. La Cour suprême de Colombie a ordonné à l’État d’agir pour protéger la forêt amazonienne. En 2015, au Pays-Bas, l’ONG Urgenda, appuyée par 800 citoyens, a réussi à imposer au Gouvernement de revoir ses engagements sur les émissions de GES.

En se basant sur les normes européennes et internationales, les ONGs et citoyens pointent les manquements des États dans le respect des règles qu’ils ont signées.

Dans son dernier rapport datant de 2022, le GIEC pointe les efforts de réduction entrepris pour réduire les émissions de CO2 mais dénoncent un manque d’ambition politique. Le paradoxe est le suivant : des mesures, des discours sont mis en avant par les Gouvernement pour agir en faveur de la préservation de notre écosystème mais les moyens mis en place ne sont pas à la hauteur, notamment au regard de la rapidité du changement climatique.

Pistes pour améliorer l’évaluation climatique : 
  • Prévoir un délai minimum pour discuter de ce genre de texte ; 
  • Ne pas se réduire à la question climatique, il faut inclure la biodiversité ; 
  • Pallier l’éclatement des acteurs environnementaux ; 
  • Il faut une expertise pluridisciplinaire et que le Parlement soit l’acteur principal de cette évaluation ; 
  • Il faut une programmation des objectifs de financement climatique (mesures d’adaptation et d’atténuation) dans la lignée du budget vert. La PPE doit donner des éléments opérationnels et de la visibilité sur le volume de financement.